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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/185

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son amour-propre par la prédominance des considérations financières sur les considérations techniques, et qui voudrait voir la technique régir l’univers, aspire à la révolution. La plupart de ceux qui ont vivement à cœur la liberté, l’égalité, le bien-être général, qui souffrent de voir des misères et des injustices, attendent une révolution. Si on prenait un à un tous ceux à qui il est arrivé de prononcer avec espoir le mot de révolution, si on cherchait les mobiles réels qui ont orienté chacun d’eux dans ce sens, les changements précis, d’ordre général ou personnel, auxquels il aspire réellement, on verrait quelle extraordinaire diversité d’idées et de sentiments peut recouvrir un même mot. On s’apercevrait que la révolution d’un homme n’est pas toujours celle du voisin, il s’en faut, que même bien souvent elles sont incompatibles. On trouverait aussi qu’il n’y a souvent aucun rapport entre les aspirations de toute espèce que traduit ce mot dans la pensée des hommes qui le prononcent et les réalités auxquelles il est susceptible de correspondre au cas où l’avenir apporterait effectivement un bouleversement social.

Au fond on pense aujourd’hui à la révolution non comme à une solution des problèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes. La preuve qu’on la considère ainsi, c’est qu’on attend qu’elle tombe du ciel ; on attend qu’elle se fasse, on ne se demande pas qui la fera. Peu de gens sont assez naïfs pour compter à cet égard sur les grandes organisations, syndicales ou politiques, qui avec plus ou moins de conviction persistent à se réclamer d’elle. Dans leurs états-majors, quoique non totalement dépourvus d’hommes de valeur, le regard le plus optimiste ne pourrait apercevoir l’embryon d’une équipe capable de mener à bien une tâche de cette envergure. Les cadres de second plan, les jeunes, ne donnent aucune marque qu’ils puissent renfermer les éléments d’une telle équipe. D’ailleurs ces organisations