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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/184

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Si on considère le régime qu’il s’agirait d’abolir, le mot de révolution semble n’avoir jamais été si actuel, car, de toute évidence, ce régime est bien malade. Si on se retourne du côté des successeurs éventuels, on aperçoit une situation paradoxale. En ce moment, aucun mouvement organisé ne prend effectivement le mot de révolution comme un mot d’ordre déterminant l’orientation de l’action et de la propagande. Pourtant jamais on ne s’est tant réclamé de ce mot d’ordre ; et surtout il touche individuellement tous ceux que les conditions d’existence actuelles font souffrir dans leur chair ou dans leur âme, tous ceux qui sont des victimes ou qui simplement se croient des victimes, tous ceux aussi qui prennent généreusement à cœur le sort des victimes qui les entourent, bien d’autres encore. Ce mot renferme la solution de tous les problèmes insolubles. Les ravages de la guerre passée, la préparation d’une guerre éventuelle pèsent sur les peuples d’un poids de plus en plus écrasant ; chaque désordre dans la circulation de la monnaie et des produits, dans le crédit, dans les investissements, se répercute en atroces misères ; le progrès technique semble apporter au peuple plus de surmenage et d’insécurité que de bien-être ; tout cela s’évanouira à l’instant où sonnera l’heure de la révolution.

L’ouvrier qui, à l’usine, contraint à une obéissance passive, à un travail morne et monotone, « trouve le temps long », ou qui ne se croit pas fait pour le travail manuel, ou qui est persécuté par un chef, ou qui souffre, à la sortie, de ne pouvoir se procurer tel ou tel plaisir offert aux consommateurs bien munis d’argent, songe à la révolution. Le petit commerçant malheureux, le rentier ruiné tournent les yeux vers la révolution. L’adolescent bourgeois en rébellion contre le milieu familial et la contrainte scolaire, l’intellectuel en mal d’aventures et qui s’ennuie, rêvent de révolution. L’ingénieur heurté à la fois dans sa raison et dans