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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/213

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plus de bas, plus d’oppression, plus d’intérêts de groupe contraires à l’intérêt général, plus de mensonge.

Autrement dit, à l’issue d’une évolution au cours de laquelle la force a changé de mains, un jour les faibles, demeurés tels, auront la force de leur côté. C’est là un exemple particulièrement absurde de la tendance à l’extrapolation qui était une des tares de la science et de toute la pensée du xixe siècle, époque où, sauf les purs mathématiciens, on ignorait la notion de limite.

La force, en changeant de mains, demeure toujours une relation de plus fort à plus faible, une relation de domination. Elle peut changer de mains indéfiniment sans que jamais un terme de la relation soit éliminé. Au moment d’une transformation politique, ceux qui s’apprêtent à prendre le pouvoir possèdent déjà une force, c’est-à-dire une domination sur de plus faibles. S’ils n’en possèdent aucune, le pouvoir ne tombera pas entre leurs mains, à moins qu’il ne puisse intervenir un facteur efficace autre que la force ; ce que Marx n’admettait pas. Le matérialisme révolutionnaire de Marx consiste en somme à poser, d’une part que la force seule règle exclusivement les rapports sociaux, d’autre part qu’un jour les faibles, tout en demeurant les faibles, seraient quand même les plus forts. Il croyait au miracle sans croire au surnaturel. D’un point de vue purement rationaliste, si l’on croit au miracle, il vaut mieux croire aussi à Dieu.

Ce qu’il y a au fond de la pensée de Marx, c’est une contradiction. Ce n’est pas à dire que la non-contradiction soit un critérium de vérité. Bien au contraire, la contradiction, comme Platon le savait, est l’unique instrument de la pensée qui s’élève. Mais il y a un usage légitime et un usage illégitime de la contradiction. L’usage illégitime consiste à combiner des affirmations incompatibles comme si elles étaient compatibles. L’usage légitime consiste, lorsque deux vérités