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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/223

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ments de la réaction. De même il existe des conditions matérielles pour l’opération surnaturelle du divin présent ici-bas sous forme d’infiniment petit.

La misère de notre condition soumet la nature humaine à une pesanteur morale qui la tire continuellement vers le bas, vers le mal, vers une soumission totale à la force. « Dieu vit que les pensées du cœur de l’homme tendaient toujours, constamment au mal. » Cette pesanteur est ce qui contraint l’homme, d’une part à perdre la moitié de son âme, selon un proverbe antique, le jour où il devient esclave, et d’autre part à toujours commander, selon le mot cité par Thucydide, partout où il en a le pouvoir. Comme la pesanteur proprement dite, elle a ses lois. Au moment où on les étudie, on ne saurait être trop froid, trop lucide, trop cynique. En ce sens, dans cette mesure, il faut être matérialiste.

Mais un architecte étudie, non pas seulement la chute des corps, mais aussi les conditions d’équilibre. La véritable connaissance de la mécanique sociale implique celle des conditions auxquelles l’opération surnaturelle d’une quantité infiniment petite de bien pur, placée au point convenable, peut neutraliser la pesanteur.

Ceux qui nient la réalité du surnaturel ressemblent vraiment à des aveugles. La lumière aussi ne heurte pas, ne pèse rien. Mais par elle les plantes et les arbres montent vers le ciel malgré la pesanteur. On ne la mange pas, mais les graines et les fruits que l’on mange ne mûriraient pas sans elle.

De même les vertus purement humaines ne germeraient pas hors de la nature animale de l’homme sans la lumière surnaturelle de la grâce. Quand l’homme se détourne de cette lumière, une décomposition lente, progressive, mais infaillible, le soumet finalement tout entier, jusqu’au fond de l’âme, à l’emprise de la force. Autant qu’il est possible à une créature pensante, il