Aller au contenu

Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment guère la doctrine, si ce n’est par l’action. Pour justifier cette action, ils inventent des idolâtries.

L’opposé de cette doctrine, en ce qui concerne la divinité, c’est le dogme de l’Incarnation. « Étant égal à Dieu, il n’a pas regardé cette égalité comme un butin… Il s’est vidé… Il a pris la condition d’esclave… Il est devenu obéissant jusqu’à la mort. »

La bête est maîtresse ici-bas. Le diable a dit au Christ : « Je te donnerai cette puissance et la gloire qui y est attachée, car elles m’ont été abandonnées. » La description des sociétés humaines en fonction des seuls rapports de force rend compte de presque tout. Elle ne laisse de côté que le surnaturel.

La part du surnaturel ici-bas est secrète, silencieuse, presque invisible, infiniment petite. Mais elle est décisive. Proserpine ne croyait pas changer sa destinée en mangeant un seul grain de grenade ; et dès cet instant, pour toujours, l’autre monde a été sa patrie et son royaume.

Cette opération décisive de l’infiniment petit est un paradoxe que l’intelligence humaine a du mal à reconnaître. Par ce paradoxe s’accomplit la sage persuasion dont parle Platon, cette persuasion au moyen de laquelle la providence divine amène la nécessité à orienter la plupart des choses vers le bien.

La nature, qui est un miroir des vérités divines, présente partout une image de ce paradoxe. Ainsi les catalyseurs, les bactéries. Par rapport à un corps solide, un point est un infiniment petit. Pourtant, dans chaque corps, il est un point qui l’emporte sur la masse entière, car s’il est soutenu le corps ne tombe pas ; ce point est le centre de gravité.

Mais un point soutenu n’empêche une masse de tomber que si elle est disposée symétriquement autour de lui, ou si l’asymétrie comporte certaines proportions. Le levain ne fait lever la pâte que s’il lui est mélangé. Le catalyseur n’agit qu’au contact des élé-