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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/252

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saire pour que les forces de production puissent la modeler à leur gré.

En ce cas la lutte des classes n’est pas un principe agissant, mais seulement une condition négative. Le principe agissant reste cet esprit mystérieux qui veille à maintenir la production au niveau maximum, et que les marxistes nomment parfois, au pluriel, les forces productives. Ils prennent cette mythologie très au sérieux. Trotsky a écrit que la guerre de 1914 était en réalité une révolte des forces productives contre les limitations du système capitaliste. On peut rêver longtemps devant une pareille formule et s’en demander la signification, jusqu’à ce qu’on soit forcé de s’avouer qu’elle ne veut rien dire.

Au reste Marx a eu raison de regarder l’amour de la liberté et l’amour de la domination comme les deux ressorts qui agitent perpétuellement la vie sociale. Seulement il a oublié de montrer qu’il y a là un principe d’explication matérialiste. Ce n’est pas évident. L’amour de la liberté et l’amour de la domination sont deux faits humains qu’on peut interpréter de plusieurs manières différentes.

De plus ces deux faits ont une portée bien plus étendue que le rapport d’opprimé à oppresseur qui a seul retenu l’attention de Marx. On ne peut pas faire usage de la notion d’oppression sans avoir fait un sérieux effort pour la définir, car elle n’est pas claire. Marx ne s’en est pas donné la peine. Les mêmes hommes sont opprimés à certains égards, oppresseurs à d’autres ; ou encore peuvent désirer le devenir, et ce désir peut l’emporter sur celui de la liberté ; et les oppresseurs, de leur côté, pensent bien moins souvent à maintenir leurs inférieurs dans l’obéissance qu’à l’emporter sur leurs semblables. Il y a ainsi non pas l’analogue d’une bataille où s’opposent deux camps, mais comme un enchevêtrement extraordinairement