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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/253

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complexe de guérillas. Cet enchevêtrement est régi pourtant par des lois. Mais elles sont à découvrir.

La seule contribution réelle de Marx à la science sociale, c’est d’avoir posé qu’il en faut une. C’est beaucoup ; c’est immense ; mais nous en sommes toujours au même point. Il en faut toujours une. Marx ne s’est pas même préparé à commencer à la constituer. Ses disciples encore moins. Dans le terme de socialisme scientifique par lequel le marxisme s’est désigné lui-même, l’épithète scientifique ne correspond pas à autre chose qu’à une fiction. On serait tenté de dire plus crûment un mensonge ; mais Marx et la plupart de ses disciples n’ont pas voulu mentir. Si ces hommes n’avaient pas été d’abord leurs propres dupes, on devrait qualifier d’escroquerie l’opération par laquelle ils ont fait tourner à leur bénéfice exclusif le respect des hommes d’aujourd’hui pour la science.

Marx était incapable d’un véritable effort de pensée scientifique, parce que cela ne l’intéressait pas. Ce matérialiste ne s’intéressait qu’à la justice. Il en était obsédé. Sa vue si claire de la nécessité sociale était de nature à le désespérer, puisque c’est une nécessité assez puissante pour empêcher les hommes, non seulement d’obtenir, mais même de penser la justice. Il ne voulait pas du désespoir. Il sentait irrésistiblement en lui-même que le désir de justice de l’homme est trop profond pour admettre un refus. Il s’est réfugié dans un rêve où la matière sociale elle-même se charge des deux fonctions qu’elle interdit à l’homme, à savoir non seulement d’accomplir, mais de penser la justice.

Il a mis à ce rêve l’étiquette de matérialisme dialectique. C’était assez pour le couvrir d’un voile. Ces deux mots sont d’un vide presque impénétrable. Un jeu très amusant, mais un peu cruel, consiste à demander à un marxiste leur signification.

On leur trouve quand même une espèce de signification en cherchant beaucoup. Platon nommait dia-