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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/73

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Il n’est pas étonnant que les mouvements sociaux issus de Marx aient fait faillite.

La première question à poser est celle du rendement du travail. A-t-on des raisons de supposer que la technique moderne, à son niveau actuel, soit capable, dans l’hypothèse d’une répartition équitable, d’assurer à tous assez de bien-être et de loisir pour que le développement de l’individu cesse d’être entravé par les conditions modernes du travail ? Il semble qu’il y ait à ce sujet beaucoup d’illusions, savamment entretenues par la démagogie. Ce ne sont pas les profits qu’il faut calculer ; ceux des profits qui sont réinvestis dans la production seraient dans l’ensemble ôtés aux travailleurs sous tous les régimes. Il faudrait pouvoir faire la somme de tous les travaux dont on pourrait se dispenser au prix d’une transformation du régime de la propriété. Encore la question ne serait-elle pas résolue par là ; il faut tenir compte des travaux qu’impliquerait la réorganisation complète de l’appareil de production, réorganisation nécessaire pour que la production soit adaptée à sa fin nouvelle, à savoir le bien-être des masses ; il ne faut pas oublier que la fabrication des armements ne serait pas abandonnée avant que le régime capitaliste ne soit détruit partout ; surtout il faut prévoir que la destruction du profit individuel, tout en faisant disparaître certaines formes de gaspillage, en susciterait nécessairement d’autres. Des calculs précis sont évidemment impossibles à établir ; mais ils ne sont pas indispensables pour apercevoir que la suppression de la propriété privée serait loin de suffire à empêcher que le labeur des mines et des usines continue à peser comme un esclavage sur ceux qui y sont assujettis.

Mais, si l’état actuel de la technique ne suffit pas à libérer les travailleurs, peut-on du moins raisonnablement espérer qu’elle soit destinée à un développement illimité, qui impliquerait un accroissement illi-