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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/74

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mité du rendement du travail ? C’est ce que tout le monde admet, chez les capitalistes comme chez les socialistes, et sans la moindre étude préalable de la question ; il suffit que le rendement de l’effort humain ait augmenté d’une manière inouïe depuis trois siècles pour qu’on s’attende à ce que cet accroissement se poursuive au même rythme. Notre culture soi-disant scientifique nous a donné cette funeste habitude de généraliser, d’extrapoler arbitrairement, au lieu d’étudier les conditions d’un phénomène et les limites qu’elles impliquent ; et Marx, que sa méthode dialectique devait préserver d’une telle erreur, y est tombé sur ce point comme les autres.

Le problème est capital, et de nature à déterminer toutes nos perspectives ; il faut le formuler avec la dernière précision. À cet effet, il importe de savoir tout d’abord en quoi consiste le progrès technique, quels facteurs y interviennent, et examiner séparément chaque facteur ; car on confond sous le nom de progrès technique des procédés entièrement différents, et qui offrent des possibilités de développement différentes. Le premier procédé qui s’offre à l’homme pour produire plus avec un effort moindre, c’est l’utilisation des sources naturelles d’énergie ; et il est vrai en un sens qu’on ne peut assigner aux bienfaits de ce procédé une limite précise, parce qu’on ignore quelles nouvelles énergies l’on pourra un jour utiliser ; mais ce n’est pas à dire qu’il puisse y avoir dans cette voie des perspectives de progrès indéfini, ni que le progrès y soit en général assuré. Car la nature ne nous donne pas cette énergie, sous quelque forme que celle-ci se présente, force animale, houille ou pétrole ; il faut la lui arracher et la transformer par notre travail pour l’adapter à nos fins propres. Or ce travail ne devient pas nécessairement moindre à mesure que le temps passe ; actuellement, c’est même le contraire qui se produit pour nous, puisque l’extraction de la houille et du pétrole