Aller au contenu

Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en regardant bien les deux fins ne font-elles qu’une. Cela est vrai même de l’astronomie, pourvu qu’on comprenne ce que c’est que posséder. Celles des découvertes de l’industrie qui, obtenues par le hasard ou par une technique aveugle, nous permettent de bouleverser le monde par des changements incompréhensibles pour nous-mêmes nous donnent bien l’illusion d’une sorte de tyrannie ; mais c’est un pouvoir extérieur à nous-mêmes ; par ces innovations, le monde n’est pas plus à nous qu’il n’était auparavant. Au contraire, comme par le regard je m’empare du Panthéon, de même l’astronomie, sans nous donner aucun pouvoir effectif sur le ciel, le fait entrer pourtant dans notre royaume ; au point que ces astres, dont le pouvoir de l’humanité réunie ne pourrait faire dévier le cours de l’épaisseur d’un cheveu, le pilote ose s’en servir comme de ses instruments.

En fin de compte, la seule sagesse consiste à savoir qu’il y a un monde, c’est-à-dire une matière que le travail seul peut changer, et que, l’esprit excepté, il n’y a rien d’autre. Mais pour faire apparaître l’univers, un pas suffit. Entre un pas et un pas je touche le monde à même. Entre un et deux je le pressens seulement ; aussi bien compter, n’est-ce que comprendre qu’on peut marcher, marcher d’une marche qui nous laisse où nous sommes. La sagesse que j’ai laborieusement cherchée, la plus simple perception la contient. L’ordre que j’ai cru devoir suivre n’a-t-il donc aucun sens, puisque moi-même, puisque tout homme, même le moins méditatif, sans avoir douté de tout, sans avoir, de sa pensée, conclu sa propre existence comme la seule chose sûre, sans avoir pensé à Dieu ni cherché de raisons pour croire à une existence étrangère à lui, ni réfléchi au mouvement, à la géométrie, à