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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/114

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liste réaliserait la synthèse de la théorie et de la pratique. Mais synthèse n’équivaut pas à confusion ; il n’y a synthèse que de contraires. Historiquement, la science est née le jour où l’on a momentanément abandonné le souci des applications. C’est la Grèce qui a créé la science, et non point l’Égypte. Toute notre culture, sans en excepter le marxisme, repose sur le « miracle grec », c’est-à-dire sur une civilisation qui, à côté de ses merveilleuses découvertes théoriques, est restée tout à fait stationnaire du point de vue de la technique. Le Moyen Âge au contraire a été, du point de vue technique, une période de progrès d’une importance capitale, comme l’a récemment montré Lefebvre des Nouëttes ; mais les thomistes eux-mêmes ne peuvent nier que les progrès de la science aient été alors à peu près nuls. La Renaissance a été avant tout une renaissance de la culture scientifique. À cette époque, c’est-à-dire à l’aurore du régime capitaliste, une liaison a été, pour la première fois, établie entre la théorie et l’application. Mais Descartes, dont on ne peut contester le rôle capital dans le développement de la science, loin de considérer la mathématique comme un langage propre à faire des résumés commodes, la considérait comme un principe d’explication, seul susceptible de permettre une mainmise méthodique de l’homme sur les forces naturelles. De nos jours, il est vrai, s’il faut en croire Bouasse, on établit la valeur d’une proposition mathématique « par les mêmes procédés que l’excellence d’une passe de football » ; mais il reste à savoir si ce n’est pas là la marque d’une décadence de la culture, décadence qui serait un des effets du régime où nous vivons. Il faut remarquer que Marx a pour principal titre de gloire d’avoir soustrait l’étude des sociétés non pas simplement aux