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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/134

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à l’œuvre derrière les phénomènes de la nature, car il s’agirait de volontés non analogues à celles des hommes, non liées à des corps, surnaturelles, c’est-à-dire dispensées des conditions du travail ; ainsi, pour établir une analogie entre les phénomènes de la nature et le travail, il faut nécessairement éliminer du travail un des termes qui le définissent et sans lequel il ne peut être conçu. Il est vrai, la loi du travail qui règle la vie humaine est la loi de l’action indirecte par laquelle chaque étape de l’exécution est indépendante de la précédente et de la suivante, indifférente au désir et au résultat espéré ; si je veux soulever une pierre très lourde, j’y réussirai non en soulevant, mais en abaissant quel que chose, à condition que ce quelque chose soit un levier. À travers un tel enchaînement d’intermédiaires auxquels mon désir est extérieur, je touche le monde, et je le pense sur le modèle d’une telle chaîne d’intermédiaires, mais d’intermédiaires purs qui ne sont intermédiaires entre rien. Du moins j’essaie de le penser ainsi, mais je ne puis réussir tout à fait à concevoir un travail sans travailleur, un obstacle qui ne s’oppose à aucune action, des conditions qui ne sont les conditions d’aucun projet. C’est pourquoi il se trouve une obscurité impénétrable — on peut s’en convaincre même en parcourant un manuel scolaire — dans les notions simples et fondamentales de la mécanique et de la physique, repos, mouvement, vitesse, accélération, point matériel, système de corps, inertie, force, travail, énergie, potentiel.

Néanmoins la science classique parvint enfin à soumettre toute étude d’un phénomène de la nature à une notion unique, directement dérivée de celle de travail, la notion d’énergie. Ce fut le résultat de longs efforts. Lagrange, s’appuyant sur ce