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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/145

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pour concevoir toutes les choses dans la nature comme des systèmes de leviers, ainsi qu’Archimède avait fait pour l’eau.

Mais si la science grecque est le commencement de la science classique, elle est aussi, en même temps, autre chose. Les notions qu’elle emploie ont toutes des résonances émouvantes et plus d’une signification. Celle d’équilibre, par exemple, avait toujours été au centre de la pensée grecque ; déjà d’ailleurs en Égypte, depuis des siècles et des siècles, la balance était le symbole par excellence de l’équité, à leurs yeux la première des vertus. L’injustice apparaît, implicitement dans l’Iliade, presque explicitement dans Eschyle, comme une rupture d’équilibre qui doit nécessairement plus tard être compensée par un déséquilibre en sens contraire, et ainsi de suite ; une formule singulière d’Anaximandre applique cette conception à la nature elle-même, faisant apparaître tout le cours des phénomènes naturels comme une succession de pareils déséquilibres qui se compensent, image mobile de l’équilibre comme le temps est l’image mobile de l’éternité. « Comme la naissance fait sortir les choses de l’indéterminé, la destruction les y fait retourner par nécessité ; car elles subissent un châtiment et une expiation les unes de la part des autres pour leurs injustices mutuelles, selon l’ordre du temps. » Quelques lignes du Gorgias, les plus belles peut-être, rendent le même son ; Socrate y reproche au défenseur de l’injustice d’ignorer que la concorde et l’harmonie déterminent l’ordre du monde, et d’oublier la géométrie. La notion qui apparaît dans de telles paroles est la même qui, sous le nom d’équilibre, constitue la physique grecque. Archimède a dû seulement lui trouver une définition rigoureuse ; ou plutôt deux définitions, l’une