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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/173

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pler certains dessins de Rembrandt ou de Léonard, par exemple, pour sentir combien ce mystère est émouvant.

Ce n’est pas le seul mystère lié à la droite ; il y en a d’autres, tous impénétrables, et auxquels on ne peut apporter de clarté qu’en les énonçant et en les séparant. Que la droite pure, l’angle pur, le triangle pur, soient des ouvrages de l’attention qui fait effort en se détachant des apparences sensibles et des actions, nous en avons conscience toutes les fois que nous pensons ces notions, et ainsi il nous apparaît que ces notions nous viennent de nous-mêmes ; mais les nécessités, les impossibilités qui leur sont attachées, d’où nous viennent elles, elles qui s’imposent à notre esprit ? Par exemple, l’impossibilité de compter les points d’une droite, ou l’impossibilité de joindre deux points par plus d’une droite. Nous pouvons refuser d’admettre certaines d’entre elles, comme on a fait pour la seconde, comme on n’a pas osé faire pour la première ; mais même pour le plus profond mathématicien, les géométries non euclidiennes ne sont pas sur le même plan que la géométrie euclidienne ; nous croyons à celle-ci même malgré nous, au lieu que nous ne pouvons pas tout à fait croire aux autres, et devons, pour les élaborer, imaginer des courbes quand nous parlons de droites. Deuxièmement, l’effort d’attention nécessaire pour se détacher des choses et penser le point, la droite, l’angle purs ne peut être accompli qu’en s’appuyant sur les choses, et la craie écrasée, le sable creusé par des mouvements humains, ou certains objets, constituent des auxiliaires indispensables ; de plus n’importe quelle chose ne permet pas d’imaginer n’importe quelle notion, mais il y a pour notre imagination des liens entre telle chose et telles de