Aller au contenu

Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et pourtant il n’est pas possible de définir le rapport par lequel les objets sont les images de notions mathématiques sans passer par l’imagination humaine. Si, comme on a voulu souvent l’affirmer, ce que le physicien néglige dans l’expérience était une erreur que l’on peut rendre aussi petite que l’on veut, l’omission volontaire du négligeable constituerait un passage à la limite au sens du calcul intégral, et la notion de négligeable aurait une signification mathématique. Mais cela n’est pas vrai ; il n’en est jamais ainsi, même dans les cas les plus favorables. En fait, il n’est pas vrai qu’on puisse à force de soins obtenir une surface aussi lisse qu’on veut ; à une époque donnée, dans un état de la technique donné, certaines surfaces bien déterminées, plus ou moins polies, sont ce qu’on a fait de mieux dans le genre, et on ne peut aller au-delà ; il est toujours permis de supposer que peut-être plus tard des procédés techniques meilleurs produiront des surfaces plus polies, mais on n’en sait rien. Mais si l’on considère un fléau de balance, il est tout à fait clair qu’aucun progrès technique n’en fera jamais rien qui ressemble à une droite tournant autour d’un point fixe. Si étrange que cela paraisse, un physicien, regardant un fléau de balance, sachant que ce n’est pas une droite, mais porté par ce spectacle à imaginer une droite, choisit d’accorder crédit à son imagination plutôt qu’à sa raison. Ainsi fit Archimède, négligeant la différence infinie qui sépare un fléau de balance d’une droite, et inventant ainsi la physique. Ainsi faisons-nous encore aujourd’hui. Mais, à vrai dire, on avait déjà fait ainsi depuis un nombre inconnu de siècles avant Archimède ; exactement depuis qu’on a commencé à se servir de balances.

L’homme a toujours tenté de se donner à lui-