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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/177

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même un univers fermé, limité, rigoureusement défini ; il y réussit parfaitement dans certains jeux où tous les possibles sont en quantité dénombrable et même finie, tels que les jeux de dés, de cartes, d’échecs. Les carrés blancs et noirs de l’échiquier, les pièces du jeu, les mouvements possibles de chacune en vertu des règles étant en nombre fini, et une partie d’échecs étant quelque chose qui s’achève tôt ou tard, toutes les parties d’échecs possibles sont en nombre fini, quoiqu’une telle énumération soit pratiquement beaucoup trop compliquée. Il en est de même, par exemple, pour toutes les parties possibles de belote. La complication est essentielle à l’intérêt, et l’on ne jouerait pas si l’on pouvait avoir en fait dans l’esprit toutes les parties possibles ; mais quoiqu’elle dépasse la portée de l’esprit humain comme si elle était infinie, elle est finie pourtant, et cela aussi est essentiel au jeu. Le joueur se donne un univers fini par des règles fixes qu’il impose à ses actions, et qui chaque fois qu’il va jouer lui donnent seulement le choix entre un petit nombre de possibles ; mais aussi par des objets solides, qu’il est porté à imaginer comme immuables, quoique rien ne soit immuable en ce monde, et qu’il décide de considérer comme absolument immuables. S’il en est empêché à certains moments par le spectacle d’un pion d’échecs brisé, d’une carte déchirée, il appelle cela un accident, et il y remédie par un nouvel objet, substitué à celui qui a changé et considéré comme ne faisant qu’un avec lui. Est nommé accident toute intervention de l’univers dans le système clos du jeu, et les accidents sont négligés par le joueur ; le jeu est ainsi le modèle de la physique. Il y a d’autres jeux où les possibles ne sont pas en nombre fini, quoiqu’ils forment aussi un ensemble