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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/179

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règles déterminent les mouvements. Le travailleur aussi, comme le joueur, quoique à un degré moindre — car il ne peut effacer à chaque instant les résultats de l’action passée et revenir au point de départ — vit dans un monde fermé, limité et défini, grâce aux outils et aux règles d’actions qu’il s’est données. Je manie une bêche en la tenant par le manche, en posant mon pied sur le fer, en imprimant à mon corps, par rapport à la bêche, des attitudes définies ; je la manie en pensant la droite dans son rapport avec l’angle ; et toute la variété de matière que rencontre la bêche s’ordonne en séries de grandeurs continues, selon le plus ou moins de résistance que rencontre chaque mouvement. Quoi de plus incertain et varié que la mer et le vent ? Mais un bateau est un solide fixe, auquel on choisit seulement d’imprimer, en maniant la voilure et le gouvernail, des changements qui forment des séries continues, mais parfaitement définies ; il ne peut subir de changement qui soit hors de ces séries, sinon par l’effet d’un accident ; le marin, en maniant le bateau, en éprouvant l’effort du vent sur les voiles, de l’eau sur le gouvernail, pense des orientations, des mouvements droits, la droite dans son rapport avec l’angle ; et les états infiniment variés de la mer et de l’air s’ordonnent en séries définies par rapport à l’état des voiles et du gouvernail, à l’orientation et à la vitesse du bateau, qui correspondent à chacun. Les outils sont tous des instruments à ordonner les apparences sensibles, à les combiner en systèmes définis, et en les maniant l’homme pense toujours la droite, l’angle, le cercle, le plan ; ces pensées dirigent son action, au prix d’une erreur infinie qu’il néglige.

L’homme doit se donner à lui-même des systèmes définis en se fixant à lui-même des règles pour ses