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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/182

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étrange, l’objet étudié par la science n’est autre que cette grâce.

Nous refusons le monde pour penser mathématiquement, et à l’issue de cet effort de renoncement le monde nous est donné comme par surcroît, au prix, il est vrai, d’une erreur infinie, mais réellement donné. Par ce renoncement aux choses, par ce contact avec la réalité qui l’accompagne comme une récompense gratuite, la géométrie est une image de la vertu. Pour poursuivre le bien aussi nous nous détournons des choses, et recevons le monde en récompense ; comme la droite tracée à la craie est ce qu’on trace avec la craie en pensant à la droite, de même l’acte de vertu est ce qu’on accomplit en aimant Dieu, et, comme la droite tracée, il enferme une erreur infinie. La grâce qui permet aux misérables mortels de penser, d’imaginer, d’appliquer efficacement la géométrie, et de penser en même temps que Dieu est un perpétuel géomètre, la grâce liée aux astres, aux danses, aux jeux et aux travaux est merveilleuse, mais n’est pas plus merveilleuse que l’existence même de l’homme, car c’en est une condition. L’homme tel qu’il est, livré aux apparences, aux douleurs, aux désirs, et destiné à autre chose, infiniment différent de Dieu et obligé d’être parfait comme son Père céleste, n’existerait pas sans une telle grâce. Le mystère de cette grâce est inséparable du mystère de l’imagination humaine, du mystère du rapport qui unit chez l’homme les pensées et les mouvements, inséparable de la considération du corps humain. La science de la nature, qui est un des effets de cette grâce, n’étudie, en dehors des astres, que des objets fabriqués par le travail humain, et fabriqués d’après des notions mathématiques. Dans un laboratoire de physicien, dans un musée de la physique tel que le Palais de la