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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/187

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fabriquées en séries. Favorisons cette évolution ; que tout travail de manœuvre soit aboli, à l’exception d’une courte période de service civil imposée au peuple entier ; que la fabrication des produits nécessaires à la vie soit socialisée, et que ces produits soient distribués gratuitement. Les loisirs seront librement employés à des travaux qualifiés pour lesquels la loi de l’offre et de la demande subsistera. Pour décrire ainsi l’avenir, Daniel-Rops emploie, comme ferait n’importe quel marxiste, des verbes au futur ; un musulman lui apprendrait qu’il est imprudent d’employer un verbe au futur sans ajouter « inch’Allah », « s’il plaît à Dieu ». Si les passions tenaient aussi peu de place dans l’organisation sociale que le suppose ce plan, on pourrait obtenir une organisation équitable même avec une faible technique. Les gens de l’ « Ordre Nouveau », d’ailleurs très sympathiques, oubliaient qu’en toute affaire humaine le problème des stimulants est capital, aussi important que celui de la source d’énergie pour un moteur. Ils auraient dû le comprendre pourtant quand ils ont tenté d’organiser une ébauche de service civil volontaire et qu’ils ont échoué ; ils ont échoué parce que rien ne poussait les gens à les suivre. Un peuple soumis à une courte période de travail obligatoire et non rémunéré ne travaillera véritablement que sous la pression d’un pouvoir central despotique et sous la menace de châtiments terribles, à moins qu’on ne découvre d’autres stimulants vraiment efficaces ; il faudrait une véritable découverte. Quant aux longues années de loisir, il faut être naïf, surtout aujourd’hui, pour ne pas penser que certains les consacreraient au seul jeu vraiment passionnant pour les hommes, le jeu qui a pour objet la domination sur les hommes ; quand on est entré dans ce jeu, on en sort malaisément ;