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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/191

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saisir un phénomène tel qu’il serait si nous ne l’observions pas. Cette vérité évidente n’a jamais été ignorée, mais on pensait que cette action pouvait être indéfiniment diminuée par les progrès de la technique expérimentale, et ainsi on l’assimilait en droit à un infiniment petit. Aujourd’hui la mécanique quantique pose à tort ou à raison qu’il y a une limite infranchissable au progrès technique dans le sens de l’exactitude. Dès lors il y a là une cause d’erreur irréductible. Mais quand même on franchirait un jour la limite posée aujourd’hui par la mécanique quantique, il resterait vrai que l’observation trouble le phénomène observé, et que ce trouble n’est pas infiniment petit.

M. de Broglie signale une idée philosophique nouvelle inventée par les physiciens, ou plutôt par un physicien, M. Bohr. M. Bohr l’a nommée « complémentarité » et en donne pour exemple l’aspect « ondes » et l’aspect « corpuscule » de la matière, l’aspect vital et l’aspect physico-chimique dans la description des êtres vivants. Plus on va loin dans la précision à l’égard d’un de ces aspects, moins on va loin à l’égard de l’aspect qui lui est lié, et réciproquement.

Cette « complémentarité » n’est pas autre chose que l’antique corrélation des contraires, celle qui était à la base de la pensée d’Héraclite et de Platon. Il n’y a pas là de nouveauté du point de vue philosophique, mais l’intérêt de cette conception n’en est pas moindre, car rien n’a tant d’intérêt en philosophie que l’invention récente d’une idée éternelle. Mais du point de vue de la science il y a là une grande nouveauté ; car depuis la Renaissance on avait tenté de réduire toute la science à l’unité. Ambition folle. Aujourd’hui l’on est contraint d’y introduire la corrélation des contraires ; heureuse contrainte ; car