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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/192

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nulle pensée humaine n’est valable si la corrélation des contraires n’y est pas reconnue. Mais c’est une relation difficile à bien manier, et si les savants veulent désormais en faire usage, il leur faudra une formation philosophique sérieuse. Héraclite, Platon, Kant pourront leur servir d’instituteurs, non pas les auteurs contemporains.

En revanche, la science ne peut pas dans son progrès apporter quelque chose de nouveau à la philosophie. Cela pour deux raisons. D’abord la science ne peut pas être autre chose pour le philosophe qu’une matière de réflexion. Le philosophe trouve à s’instruire auprès des savants comme auprès des forgerons, ou des peintres, ou des poètes, mais non pas davantage, ni surtout d’une autre manière. Mais la raison principale, c’est qu’à proprement parler il n’y a pas de nouveauté possible en philosophie. Quand un homme introduit dans la philosophie une pensée nouvelle, ce ne peut guère être qu’un accent nouveau imprimé à une pensée non seulement éternelle en droit, mais antique en fait. Les nouveautés de cette espèce, qui sont d’un prix infini, ne sont produites que par la longue méditation d’un grand esprit. Mais des nouveautés au sens où on l’entend d’ordinaire, il n’y en a pas. La philosophie ne progresse pas, n’évolue pas ; c’est pourquoi les philosophes sont mal à leur aise aujourd’hui, car ils doivent trahir leur vocation ou n’être pas à la mode. La mode aujourd’hui est de progresser, d’évoluer. C’est même quelque chose de plus contraignant qu’une mode. Si le grand public savait que la philosophie n’est pas susceptible de progrès, il souffrirait mal sans doute qu’elle ait part aux dépenses publiques. Il n’est pas dans l’esprit de notre époque d’inscrire au budget ce qui est éternel. Aussi la plupart des philosophes