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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/206

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que les adversaires d’une idée nouvelle finissent par mourir et que la génération montante y est acclimatée. » Ainsi les théories scientifiques disparaissent à la manière des modes masculines au xviie siècle ; les costumes style Louis XIII disparurent quand les derniers vieillards qui avaient été jeunes sous Louis XIII furent morts.

Qui aura bien médité ces formules ne dira jamais : « La Science affirme que… » La Science est muette ; ce sont les savants qui parlent. Ce qu’ils disent n’est certes pas indépendant du temps, puisque, de l’aveu de Planck, les partisans de telle ou telle manière de voir se taisent au moment précis où la mort leur impose silence. Quant aux lieux, il est vrai que les savants appartiennent à divers pays. Mais les voyages, la correspondance, les communications sont si faciles et si rapides de nos jours en temps de paix que les savants d’une même spécialité, quoique dispersés à travers le globe terrestre, constituent un minuscule village, où tout le monde se connaît, où l’on est au courant de la vie privée de chacun, où circulent sans cesse des anecdotes qu’ailleurs on nommerait des cancans. Dans les villes où se trouvent plusieurs d’entre eux, ils se voient sans cesse, sauf s’ils sont brouillés, et leurs femmes mêmes ne se voient guère qu’entre elles. Ce village est clos ; on n’y pénètre pas du dehors. Eût-on étudié vingt ans les livres des savants, quand on n’est pas soi-même un savant par profession, on est un profane à l’égard de la science ; et les opinions des profanes n’ont aucun crédit dans le village, nul n’y porte la moindre attention, sinon parfois pour emprunter quelques formules qui plaisent et flattent. Un lecteur cultivé, un artiste, un philosophe, un paysan, un Polynésien, sont tous au même degré, c’est-à-dire absolument,