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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/208

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opinions. Comme ailleurs, la lutte des générations et des personnes y produit à chaque moment une opinion moyenne. L’état de la science à un moment donné n’est pas autre chose ; c’est l’opinion moyenne dans le village des savants. Cette opinion, il est vrai, s’appuie sur des expériences ; mais il s’agit toujours d’expériences exécutées dans ce village, sans aucun contrôle extérieur, avec des appareils coûteux et compliqués qui ne se trouvent que là ; expériences préparées, recommencées, rectifiées par les seuls habitants du village, et surtout interprétées par eux seuls, et cela avec une liberté dont les phrases de Planck citées plus haut donnent la mesure. Il n’est donc pas vrai que la science soit une espèce d’oracle surnaturel, source de sentences différentes, certes, d’année en année, mais nécessairement de plus en plus sages. Car c’est ainsi qu’on se la représente communément aujourd’hui, et l’ivresse que nous éprouvons à crier : « La Science dit que… » n’est même pas refroidie par la certitude qu’elle ne le dira plus dans cinq ans. On croirait — à cet égard comme à plusieurs autres — que l’actualité a pour nous valeur d’éternité. Valéry lui-même a parlé plus d’une fois de la science conformément à la superstition commune. Quant aux savants, ils sont, bien entendu, les premiers à faire passer leurs propres opinions pour des sentences dont ils ne seraient pas responsables, dont ils n’auraient à rendre aucun compte, émanées d’un oracle. Cette prétention n’est pas tolérable, car elle n’est pas légitime. Il n’y a aucun oracle, mais seulement les opinions des savants, lesquels sont des hommes. Ils affirment ce qu’ils croient devoir affirmer, en quoi ils ont raison, mais ils sont eux-mêmes les auteurs responsables de tout ce qu’ils affirment, et ils en doivent compte. Ils ne rendent