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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/209

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pas ce compte ; mais ils ont tort ; ils se font tort d’abord à eux-mêmes, car ils ne le rendent pas non plus à eux-mêmes.

Ils doivent compte avant tout de leur rupture avec la science classique. Non qu’elle soit un malheur. La science classique, parvenue à son apogée et se prétendant capable d’expliquer toute chose sans exception, était devenue intellectuellement irrespirable, et c’est pourquoi Bergson, Einstein, tous ceux qui ont fait par violence des trous dans cette enceinte close ont été salués comme des libérateurs. D’ailleurs les notions premières de la science classique, inertie, mouvement uniforme, force, accélération, énergie cinétique, travail, sont obscures dès qu’on les considère avec attention. N’est-il pas singulier que le mouvement uniforme rectiligne, le plus simple de tous les mouvements en vertu du principe d’inertie, ne puisse être mesuré, quant au temps, que par le mouvement diurne des étoiles, c’est-à-dire un mouvement circulaire ; et ne puisse être représenté que par l’exemple d’une bille roulant sur un plan, mouvement qui enferme une rotation ? N’est-il pas singulier que ce mouvement, qui s’accomplit sans intervention d’aucune force, enferme une énergie ? N’est-il pas étrange que la notion de travail, empruntée à l’expérience humaine, soit définie de telle manière qu’un homme qui porte cinquante kilos pendant dix kilomètres n’accomplit aucun travail ? Et que lorsque deux corps identiques franchissent la même distance rectiligne dans le même temps, il y ait travail dans un cas et non dans l’autre, si le mouvement de l’un est uniforme et non celui de l’autre ? On trouverait bien d’autres étrangetés.

Mais ce qui est plus grave, c’est que la science classique a prétendu résoudre les contradictions,