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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/210

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ou plutôt les corrélations de contraires, qui font partie de la condition humaine et dont il n’est pas permis à l’homme de se dégager. Elle a cru y parvenir en supprimant l’un des termes. Par exemple, le continu et le discontinu nous sont donnés ; nous pensons l’espace et le nombre ; nous ne pouvons passer d’un côté à l’autre d’un fleuve sans le traverser, et nous ne connaissons pas d’intermédiaire entre le fer et l’or. La physique classique a voulu supprimer le discontinu ; il était nécessaire qu’elle s’y heurtât, et cela en son centre même, dans sa branche principale, dans l’étude de la notion même d’énergie qui devait servir à cette suppression, autrement dit dans la thermodynamique. Nous ne concevons clairement que des transformations susceptibles de se reproduire en sens contraire, et pourtant nous sommes soumis à un temps dont le cours est irréparable ; nous vieillissons, nous mourons, la cendre ne devient pas bois, la rouille ne devient pas fer, et d’une manière générale les choses facilement et rapidement détruites sont soit impossibles soit difficiles et longues à reconstruire ou à remplacer. La tentative d’expliquer un monde fait de la sorte par un monde d’atomes soumis à la seule énergie mécanique, laquelle ne comporte aucune irréversibilité, devait être impossible. La science classique a voulu tenir compte seulement de la nécessité aveugle, et abolir complètement la notion d’ordre ; celle-ci est reparue sous le déguisement de la probabilité dont Boltzmann a fait usage pour passer du réversible à l’irréversible ; car à regarder la chose de près, on ne peut définir la faible probabilité que par un ordre. La science classique a voulu, du double rapport qui subordonne l’ensemble aux parties et les parties à l’ensemble, ne retenir que le premier, le second semblant,