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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/255

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à lui. Il a trouvé l’axiome dit d’Archimède ; c’est déjà assez beau ; je ne puis croire qu’il ait trouvé la notion de nombre réel ; car autrement, jusqu’à lui, l’incommensurabilité de la diagonale aurait été un scandale, et on ne l’aurait pas évoquée complaisamment comme l’exemple par excellence d’une vérité saisie par l’intelligence pure. La manière dont Platon et Aristote y font allusion montre que c’était dans ces milieux l’exemple classique. Eudoxe est contemporain de Platon ; on pourrait à la rigueur supposer que Platon a modifié sa philosophie en conséquence de sa découverte ; mais Aristote ne dirait pas alors qu’il n’a changé qu’un mot à la doctrine des pythagoriciens.

Quoi qu’il en soit, je pense que les incommensurables ont donné aux Grecs l’idée d’intelligible pur, ou, pour parler avec plus de précision, leur ont procuré des vérités qui exigent, pour être saisies, une séparation plus nette entre l’intelligence et l’usage des sens que les propositions concernant les nombres ; c’est pourquoi cela leur a semblé un présent des dieux.

Je ne peux admettre aucune interprétation catastrophique de la pensée grecque ou de son histoire. Je ne traiterais pas légèrement la Naissance de la Tragédie ; ce livre m’est seulement très souvent odieux. Je ne puis supporter Nietzsche ; il me rend malade, même quand il exprime des choses que je pense. J’aime mieux admettre, sur la foi de sa réputation, que c’est un grand homme, que d’y aller voir. Pourquoi approcherais-je ce qui me fait mal ? Mais pour Dionysos, il s’est complètement trompé ; pourquoi n’a-t-il pas tenu compte de ce que dit Herodote (qui savait de quoi il parlait), que Dionysos, c’est Osiris ? L’un et l’autre représentent donc le Dieu qu’il faut « imiter » (comme dit Platon)