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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/257

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quoi a pu consister au juste le rôle de la proportion. En ce qui concerne l’art, la proportion permet à la pensée de saisir et d’ordonner d’un coup la diversité. Si la proportion est employée judicieusement — c’est-à-dire de manière à laisser subsister le sentiment de la diversité — la pensée se trouve dans la situation la plus heureuse, qui consiste pour elle à se sentir chez soi au milieu de la matière. On pourrait définir l’objet de l’art comme étant d’amener l’âme à se sentir chez elle dans le lieu de son exil. Mais les objets fabriqués ne suffisent pas ; la pensée désire pouvoir apercevoir le monde lui-même comme une œuvre d’art ; il s’agit là, non plus d’établir, mais de trouver des proportions. Plus on en aperçoit, plus l’univers devient le contraire d’un cauchemar. La purification consiste en ce que l’ordre de l’univers devient objet d’amour (c’est la conception stoïcienne ; je pense qu’ils n’ont rien inventé) et en ce que l’esprit d’un homme, condamné à presque tout subir, devient d’une certaine manière l’auteur même de l’univers. On ne peut admirer une œuvre d’art sans s’en croire l’auteur de quelque façon ; admirer l’univers comme une œuvre d’art, c’est s’assimiler de quelque façon à Dieu. Les mathématiques sont utiles à cet effet comme science de la nature. Il semble clair que retrouver, dans des apparences changeantes et diverses où l’homme se perd, quelques rapports simples donne un bonheur de ce genre. Un rapport qui se retrouve identique dans des choses diverses, c’est la notion même de proportion.

Dès lors qu’il est question d’imitation de Dieu (le mot est de Platon), la mystique est proche. Bien que le terme soit vague, je pense qu’on s’accorderait généralement à l’appliquer à certains passages de Platon. D’ailleurs le rôle assigné par lui à l’amour