Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/281

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un paradoxe. Les mouvements des astres, qui sont d’ailleurs trop lents pour nous apparaître comme des mouvements, et que nous n’avons pour cette raison aucune peine à penser comme circulaires, sont les seuls qui ne s’arrêtent jamais ; les mouvements accomplis par nous, provoqués par nous, ou que nous voyons se produire autour de nous, et qui sont toujours accompagnés dans notre pensée de la notion de direction, c’est-à-dire de droite, s’achèvent toujours à quelque moment. Plus brièvement, les mouvements circulaires des astres durent indéfiniment, les mouvements rectilignes ont une durée finie. Cette opposition est confirmée par l’expérience continuelle et séculaire des hommes. N’est-ce pas dès lors un paradoxe très audacieux d’affirmer que le mouvement parfait, soustrait aux actions extérieures, indéfiniment durable, est un mouvement uniforme rectiligne ? Ce qui est évident, c’est que ce paradoxe est indispensable pour définir les mouvements qui intéressent notre vie terrestre. Néanmoins Galilée n’aurait pu imaginer un mouvement uniforme rectiligne en déplaçant des morceaux de rocher sur une lande ou des armoires dans une chambre, car ces choses s’arrêtent dès qu’on cesse de faire effort ; il l’imagine en imprimant une légère impulsion à une bille placée sur une surface horizontale polie, et en choisissant de négliger d’abord le fait que la bille finit par s’arrêter, puis le fait qu’elle roule et ne glisse pas. Ensuite Galilée inventa le mouvement uniformément accéléré, en calcula la loi par une intégration, et, abandonnant une bille sur des plans diversement inclinés, retrouva à quelque chose près cette loi dans l’expérience, ainsi qu’un rapport entre l’accélération et l’inclinaison du plan.