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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/62

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Moi-même, en tant que j’ai conscience de moi, je suis n’importe quoi ; ce que ma conscience me révèle, ce n’est pas moi, mais la conscience que j’ai de moi, tout comme elle ne me révèle pas les choses, mais la conscience que j’ai des choses. Ce dont j’ai conscience, je ne sais jamais ce que c’est ; je sais que j’en ai conscience. Voilà donc une chose que je sais : j’ai conscience, je pense. Et comment est-ce que je le sais ? Ce n’est pas une idée, un sentiment parmi les idées et les sentiments qui apparaissent à ma pensée. J’éprouve que le ciel est bleu, que je suis triste, que je jouis, que je me meus ; je l’éprouve, je n’en sais rien. Ce que je pense, je le pense ; il n’y a rien d’autre à connaître. Rien ? Si. Et quoi donc ? Tout ce que j’éprouve est illusion, car tout ce qui se présente à moi sans que j’en reçoive l’atteinte de l’existence réelle se joue de moi. Et non seulement plaisir, souffrance, sensation, mais par suite aussi cet être que je nomme moi, qui jouit, souffre et sent. Tout cela est illusion. Qu’est-ce à dire ? Que tout cela semble illusoire ? Non ; c’est-à-dire, au contraire, que tout cela fait illusion, par suite semble certain. C’est à peine si je puis admettre que cette table, ce papier, cette plume, ce bien-être et moi-même ne sont que des choses que je pense ; des choses que je pense et qui font semblant d’exister. Je les pense ; elles ont besoin de moi pour être pensées. En quoi donc ? Car je ne pense pas ce que je veux. Elles me font illusion de même par leur puissance propre. Qu’est-ce donc qu’elles empruntent de moi ? La croyance. Ces choses qui font illusion, c’est moi qui les pense, ou comme sûres, ou comme illusoires, le prestige qu’elles exercent sur moi restant d’ailleurs intact. La puissance que j’exerce sur ma propre croyance n’est pas une illusion ; c’est par cette puissance que je sais que je pense. Ce que je