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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/63

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prends pour ma pensée, ne serait-ce pas la pensée d’un Malin Génie ? Cela peut être quant aux choses que je pense, mais non pas pour ceci, que je les pense. Et par cette puissance de pensée, qui ne se révèle encore à moi que par la puissance de douter, je sais que je suis. Je puis, donc je suis. Et en cet éclair de pensée se révèlent à moi plusieurs choses dont je ne savais auparavant ce qu’elles étaient, à savoir le doute, la pensée, la puissance, l’existence et la connaissance elle-même. Au reste cela n’est pas un raisonnement ; je puis me refuser à cette connaissance. Ou plutôt je puis la négliger ; je ne puis la refuser. Car dès que je repousse une pensée quelconque comme illusoire, par là même je pense quelque chose que je ne puise pas dans la chose qui se présente à ma pensée ; car dans mes pensées illusoires je ne puis puiser que l’illusion, c’est-à-dire la croyance qu’elles sont sûres. En tant que j’accueille une idée, je ne sais si je l’accueille ou si seulement elle se présente ; dès que je repousse une idée, quand ce serait l’idée même que je suis, aussitôt je suis. Ma propre existence que je ressens est une illusion ; ma propre existence que je connais, je ne la ressens pas, je la fais. Exister, penser, connaître, ne sont que des aspects d’une seule réalité : pouvoir. Je connais ce que je fais, et ce que je fais, c’est penser et c’est exister ; car du moment que je fais, je fais que j’existe. Je suis une chose qui pense. Dira-t-on que, sans le savoir, je suis, je fais peut-être autre chose encore, en dehors de la pensée ? Qu’est-ce à dire ? Que serait une puissance que je n’exerce pas ? Certes un dieu inconnu peut se servir de moi, sans que je le sache, en vue d’effets que j’ignore ; mais ces effets, je ne les produis pas. Et quant à connaître mon être propre, ce que je suis se définit par ce que je puis. Il est donc une chose que je