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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/65

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je ne puis me donner, à l’égard des choses rêvées, la croyance que m’inspirent en leur existence ce que j’appelle les choses réelles. Je reconnais ainsi que mon pouvoir sur ma propre croyance n’est que négatif ; je puis douter, je ne puis croire. Puis ces rêveries, qu’est-ce qui les produit ? Rien ne m’assure que c’est moi. Si j’en ai le sentiment, c’est que, même pénibles, elles ne se présentent à moi qu’autant que je les accueille ; mais, de la suite bizarre qu’elles forment, je puis toujours dire la parole inspirée à Figaro par les événements de sa vie : « Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? » Je puis les repousser, mais si je les crée, c’est par un pouvoir qui, bien différent du pouvoir de douter, me laisse dans l’incertitude au sujet de sa propre existence. Peut-être les choses que je rêve me sont-elles aussi extérieures que les choses que je crois entendre, voir, toucher. Peut-être aussi ce que j’appelle par excellence les choses m’appartiennent-elles aussi bien que les rêveries. Quoique ce soit étrange à dire, cette supposition, si elle était vraie, rendrait la puissance que je crois avoir sur les choses illusoire ; sensations imprévues ou voulues, course ou chute, tout serait mien au même titre. Il est vrai que les événements me surprennent, même quand ils sont désirés ; toujours il y a en ce que je perçois, même agréable, quelque chose que je n’ai point désiré, qui me saisit, s’impose à moi comme une chose étrangère. C’est ce qui me fait croire presque invinciblement que, si mes rêveries n’existent que pour moi, au contraire ce papier, cette table, le ciel, la terre, Paris existent indépendamment de moi. Mais ce n’est pas une preuve. Je n’ai jamais cru que ma colère ait une existence indépendante de moi, et pourtant est-ce que je ne me mets pas en colère subitement, et souvent quand je désire