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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/83

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Quand je compte ces mêmes choses à l’occasion desquelles l’imagination règne en moi, je rencontre une idée d’une autre espèce, qui ne s’impose pas à moi, qui n’existe que par un acte de mon attention, que je ne puis changer ; elle m’est, comme le « Je pense, donc je suis », transparente et invincible. Cette idée du nombre, et celles qui lui ressemblent, je trouve qu’elles remplacent pour ainsi dire les changements sans règle auquel les autres sont sujettes par un progrès dont elles sont le principe. Elles servent d’abord à des raisonnements qui, encore qu’ils soient clairs et immuables comme elles, semblent contraindre mon esprit presque à la manière des sens, et comme me jeter les vérités aux yeux. Mais je trouve aussi parfois, entre ces idées, un ordre qui me permet de former une idée après une autre, de telle manière que chacune soit marquée de la même évidence qu’avait par elle-même l’idée première. C’est ainsi que je pense deux après un, trois après deux.

Si je cherche quel crédit doit être accordé à toutes ces pensées que l’imagination nourrit, je trouve que seules, parmi elles, les idées claires ne représentent pas l’invasion du monde en moi, puisque seule ma propre attention me les présente. L’imagination y a bien part cependant, car elles ne me sont pas, comme l’idée de « Je pense, donc je suis », entièrement limpides. Pourquoi sept est-il un nombre premier ? Pourquoi pas neuf ? Je ne sais. C’est ainsi. Ces idées ne rendent pas compte d’elles-mêmes. Je dois les prendre telles qu’elles sont. Elles procèdent donc de quelque chose qui m’est étranger, autrement dit du monde ; et puisque l’imagination est le seul intermédiaire entre le monde et moi, elles procèdent de l’imagination. Mais l’imagination les forme, non pas en tant qu’elle soumet la pensée