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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/84

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au monde ; en tant au contraire que, conduite par l’esprit, elle lui ouvre un passage dans le monde. Telle est donc l’arme de l’esprit contre le hasard. Si mes pensées laissaient tout intact hors de moi, ou si, ce qui à cet égard reviendrait au même, elles s’imprimaient elles-mêmes dans les choses, il n’y aurait point place pour le hasard. Mais ces pensées laissent sur le monde une trace qui ne leur ressemble pas ; moi cependant, je cherche sans cesse une telle ressemblance, et crois plus ou moins la trouver ; telle est la source des superstitions, des passions, de toutes les folies, qui consistent, sans exception, en ce que la pensée est livrée au hasard. Mais le propre de l’esprit est de supprimer le hasard. Il trouve ici sa tâche, tâche négative, la seule qui lui reste, car par l’acte de poser le « Je pense, donc suis », l’esprit a donné tout ce qu’il pouvait donner de positif. Or l’esprit rencontre ici sa ressource contre le hasard ; car ses passions céderont la place à une volonté qui, malgré la condition où le réduit le monde, s’imprimera directement dans les choses, pourvu qu’il ne prenne pour objet immédiat de son vouloir que ce changement dont il dispose, et qui constitue sa prise sur le monde. Les idées claires, filles de l’imagination docile, seront donc désormais mon seul appui.

Il est vrai que cet appui semble bien frêle, car ces idées sont évidemment insuffisantes. Il n’en peut être autrement ; si cette prise sur le monde, à quoi elles correspondent, n’était pas insuffisante, elle constituerait une domination directe, je ne subirais pas le monde, l’esprit resterait pur sans combats. Au contraire, le monde limite ce pouvoir souverain sur soi qui fait l’esprit. Il réduit l’esprit à ne pouvoir que changer partiellement cette existence étrangère par laquelle il se sent tenu. Or l’action