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Page:Wharton - Sous la neige, 1923.djvu/144

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Un instinct de rébellion grondait sourdement en lui. Il était trop jeune, trop robuste, trop bouillonnant de sève pour assister sans révolte à l’écroulement de ses espérances. Lui faudrait-il user toute sa vie à vivre auprès d’une femme aigrie et maussade ? Il avait eu d’autres aspirations : ces aspirations il avait dû les sacrifier, une à une, à l’étroitesse d’esprit et à l’ignorance de Zeena ; et, en fin de compte, qu’avait-il retiré de ces sacrifices ? Sa femme était cent fois plus maussade et plus acariâtre qu’au temps où il l’avait épousée : la seule joie qu’elle parût ressentir était de le faire souffrir. Tous ses instincts d’être jeune et bien portant se soulevaient contre l’inutilité de ses souffrances…

Il s’enveloppa dans sa vieille pelisse de raton pelée et s’allongea sur le divan. Sous sa joue, il sentit un objet dur et bosselé. C’était un coussin que Zeena avait brodé pour lui au temps de leur fiançailles, le seul travail à l’aiguille qu’il lui eût jamais vu faire. Il le lança sur le plancher et appuya sa tête contre le mur…

Ethan connaissait un jeune homme à peu près de son âge habitant l’autre versant de la montagne, qui s’était évadé d’une vie comme la sienne en emmenant en Californie une jeune fille qu’il aimait. Sa femme avait divorcé ; il avait épousé sa compagne, et il était heureux. L’été précédent, Frome avait rencontré le