Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
227
CHAPITRE IX.

On n’avait eu aucune intention de l’offenser, et il reprit son travail. Almer le relaya au bout de quelque temps. Il était dix heures et demie ; une heure s’était écoulée, et ils taillaient toujours des pas. Triste occupation pour nous, car il n’y avait guère moyen de gambader à l’aise dans ce maudit passage ; il fallait pour ne pas tomber se tenir par les mains aussi bien que par les pieds ; les doigts et les orteils se refroidissaient singulièrement ; la glace détachée par la hache se précipitait au fond de la bergschrund avec des bonds qui donnaient à réfléchir ; la conversation se trouvait très-limitée, car 6 mètres de corde nous séparaient l’un de l’autre. Une autre heure s’écoula. Nous nous trouvions alors presque immédiatement à la base du sommet, et nous nous arrêtâmes pour le regarder. Il était aussi éloigné de nous (verticalement) que trois heures auparavant. Ce jour-là, tout nous semblait contraire. Les seuls rochers qui fussent à portée de la main étaient des débris épars à peine gros comme des tasses à thé, et, ainsi que nous le reconnûmes plus tard, couverts de verglas pour la plupart. Le temps nous manquait pour tailler des pas en droite ligne dans la direction du sommet quand même ce travail eût été possible. Nous nous décidâmes donc à grimper sur l’arête par les rochers. Pour faire cette tentative, il fallait avoir une certaine confiance l’un dans l’autre : nous étions, en effet, dans une situation telle que non-seulement la moindre glissade pouvait être, que dis-je, devait être fatale à toute l’expédition : et rien n’était plus facile que de glisser. C’était un de ces endroits où tout le monde doit manœuvrer à l’unisson, et où la corde ne doit être ni trop relâchée ni trop tendue. Une heure s’était encore écoulée, et, à midi 30 minutes, nous atteignîmes de nouveau l’arête, mais à un point plus élevé (B), près du sommet. Nos hommes étaient exterminés de fatigue ; la meilleure préparation à une pareille entreprise n’est certes pas de tailler des pas dans un couloir de 300 mètres de hauteur. Nous fûmes donc tous assez contents de pouvoir nous reposer un instant, car nous ne nous étions pas assis une minute depuis que nous avions quitté le col, c’est-à-dire depuis six heures. Cependant Almer ne voulut