Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
ESCALADES DANS LES ALPES.

prendre aucun repos ; voyant qu’il était midi passé, et qu’il nous restait fort à faire, il se détacha pour tenter de se rapprocher du sommet. Des couches de neige réunissaient les dents des rochers ; Almer en traversait une à quelques mètres de moi, quand, tout à coup, elle s’effondra sous lui et tomba sur le glacier. Il chancela une seconde, un pied levé et l’autre déjà posé sur la masse de neige qui glissait ; je le crus perdu, heureusement il tomba sur le côté droit et put s’arrêter. S’il eût posé le pied gauche au lieu du pied droit dans la neige, il fût tombé probablement pendant plusieurs centaines de mètres sans se heurter à aucun obstacle, et ne se fût arrêté que sur le glacier, situé verticalement à plus de 1000 mètres au-dessous.

Nous dûmes encore travailler près d’une heure pour atteindre le sommet dont nous étions séparés par une distance ridiculement faible. Almer était en avant de quelques mètres ; avec la modestie qui le caractérise, il hésita à escalader le premier la pointe la plus élevée, et se retira pour nous laisser passer à sa place. Un cri unanime désigna Croz, à qui nous devions la plus grande part du succès, mais Croz déclina cet honneur, et nous nous avançâmes tous ensemble vers le sommet ; je veux dire que nous nous serrâmes tout autour, à un mètre ou deux au-dessous, car il était beaucoup trop étroit pour que nous pussions y tenir tous.

Suivant mon habitude, je mis dans mon sac un fragment du rocher le plus élevé (c’était de l’ardoise chlorite), et plus tard je constatai qu’il offrait une similitude frappante avec le pic supérieur des Écrins. J’ai fait, dans d’autres occasions[1], cette remarque curieuse : non-seulement des fragments calcaires, par exemple, présentent souvent les formes caractéristiques des roches dont on les a détachés, mais des morceaux d’ardoises micacées ressemblent d’une manière merveilleuse aux pics dont elles faisaient partie. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi, si la masse de la montagne est toujours plus ou moins homogène ? Les

  1. L’exemple le plus frappant que j’aie constaté de visu se trouve cité dans le chapitre XXI.