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Page:Widor - Initiation musicale.djvu/106

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INITIATION MUSICALE

la coquetterie propre aux solistes, suivant la nécessité d’en user librement avec la ligne musicale, quand il s’agit de l’adapter à de nouvelles paroles. Que valait l’interprétation de ces clercs ? Une chronique du temps en compare l’effet à celui d’un chariot dégringolant l’escalier… Dans l’espoir d’assouplir les cordes vocales de ses chantres, Charlemagne engage deux maîtres italiens qui leur enseignent l’art des tremblés, des fioriturés, des répercutés, mais sans y réussir…

Ainsi, c’est par les hurlements des uns et les mièvreries des autres que la tradition parvient à Saint-Gall, à Saint-Maur, à Saint-Denys, dans tous les monastères où l’on cherche à la fixer.

Comment, à ce moment, n’en revint-on pas à la vieille notation ? Il est difficile de comprendre cet oubli des signes alphabétiques pour leur substituer la chinoiserie des neumes[1], vagues linéaments assez semblables aux bacilles de la typhoïde ? Les Bénédictins les ont déchiffrés et traduits avec une patience et une conscience presque exagérée, car leurs éditions reproduisent le bien et le mal, le vrai et le faux, jusqu’aux tremblés, aux fioriturés, aux répercutés d’antan.

Archivistes, ils ont collationné des textes, et les musiciens les en remercient ; mais ces textes sont de la musique, et c’est aux musiciens de les juger. Or ce dernier travail, commencé au XIIIe siècle, a duré trois cents ans. Il a été accompli par des hommes éminents, élevés à l’ombre des cloîtres, ne parlant que la langue de l’Antiphonaire. Pour construire le magnifique édifice de la polyphonie vocale, ils ont examiné et vérifié les textes anciens en les

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  1. Neumes, du grec πνεῦμα (souffle), disent les uns, de « νομος » (règle, mode, cantilène), disent les autres.