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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/168

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LE PORTRAIT

— Mais qu’y-a-t-il ? Certainement je ne le regarderai pas si vous ne le voulez pas, dit-il un peu froidement, tournant sur ses talons et allant vers la fenêtre, mais il me semble plutôt absurde que je ne puisse voir mon œuvre, surtout lorsque je vais l’exposer à Paris cet automne. Il faudra sans doute que je lui donne une nouvelle couche de vernis d’ici-là ; ainsi, devrai-je l’avoir quelque jour ; pourquoi pas maintenant ?

— L’exposer !… Vous voulez l’exposer ? s’exclama Dorian Gray envahi d’un étrange effroi.

Le monde verrait donc son secret ? On viendrait bâiller devant le mystère de sa vie ? Cela était impossible ! Quelque chose — il ne savait quoi — se passerait avant…

— Oui, je ne suppose pas que vous ayez quelque chose à objecter. Georges Petit va réunir mes meilleures toiles pour une exposition spéciale qui ouvrira rue de Sèze dans la première semaine d’octobre. Le portrait ne sera hors d’ici que pour un mois ; je pense que vous pouvez facilement vous en séparer ce laps de temps. D’ailleurs vous serez sûrement absent de la ville. Et si vous le laissez toujours derrière un paravent, vous n’avez guère à vous en soucier.

Dorian passa sa main sur son front emperlé de sueur. Il lui semblait qu’il courait un horrible danger.

— Vous m’avez dit, il y a un mois, que vous ne l’exposeriez jamais, s’écria-t-il. Pourquoi avez-vous changé d’avis. Vous autres qui passez pour constants vous avez autant de caprices que les autres. La seule différence, c’est que vos caprices sont sans aucune signification. Vous ne pouvez avoir oublié que vous m’avez solennellement assuré que rien au monde ne pourrait vous