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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/220

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que le commandant de la citadelle accuse à son tour. En effet, du moment où les cultivateurs du pays font mal leur service, ils ne nourrissent plus les garnisons et ne peuvent plus payer les tributs. Dans les pays soumis à un satrape, c’est ce dernier qui a une inspection sur les deux officiers. »

Alors, Critobule : « Si telle est, Socrate, dit-il, la conduite du roi, il me semble qu’il n’a pas moins soin de l’agriculture que de l’art militaire. — Ce n’est pas tout, Critobule : quelque part qu’il séjourne, dans quelque pays qu’il aille, il veille à ce qu’il y ait de ces jardins, appelés paradis, qui sont remplis des plus belles et des meilleures productions que puisse donner la terre ; et il y reste aussi longtemps que dure la saison d’été. — Par Jupiter ! dit Critobule, il faut donc, Socrate, que, partout où il séjourne, il veille à ce que les paradis soient parfaitement entretenus, pleins d’arbres et de tout ce que la terre produit de plus beau. — On dit encore, Critobule, reprit Socrate, que quand le roi distribue des présents, il commence par appeler les meilleurs guerriers, parce qu’il est inutile de cultiver de grandes terres s’il n’y a pas d’hommes qui les protégent ; puis il fait venir ceux qui savent le mieux rendre un terrain fertile, disant que les plus vaillants ne sauraient vivre s’il n’y avait pas de cultivateurs. On raconte, enfin, que Cyrus[1], qui fut un prince fort illustre, dit un jour à ceux qu’il avait appelés pour les récompenser, que lui aussi aurait droit aux deux prix ; car il prétendait être le plus habile soit à cultiver ses terres, soit à défendre ses cultures. — Cyrus, par conséquent, mon cher Socrate, dit Critobule, ne se glorifiait pas moins, s’il a dit cela, de rendre les terres fertiles et de les bien préparer, que d’être habile à la guerre. — Par Jupiter ! reprit Socrate, Cyrus, s’il eût vécu, eût été bien digne de commander. Mille autres faits en témoignent ; et, quand il marcha contre son frère pour lui disputer la royauté, il n’y eut pas, dit-on, un seul soldat de Cyrus qui passât au parti du roi, tandis que plusieurs myriades passèrent du roi à Cyrus. Pour ma part, je regarde comme une grande marque de mérite d’un souverain, quand on le suit de bon cœur et qu’on veut demeurer auprès de lui dans les dangers. Or, tant que celui-ci vécut, ses amis combattirent à ses côtés ; dès qu’il fut mort, tous moururent en combattant auprès de son cadavre, à l’exception d’Ariée. Ariée se trouvait à la tête de l’aile gauche.

  1. Cyrus le Jeune, un des héros de l’Anabase.