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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/267

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devenir puissants, non pas vraiment parce qu’ils sont plus robustes que leurs soldats, qu’ils lancent bien le javelot et la flèche, qu’ils sont bons cavaliers, et qu’ils affrontent le danger sur un excellent cheval et avec un bouclier solide, mais parce qu’ils sont capables d’inspirer à leurs troupes le courage de les suivre au travers du fer et de tous les périls. On a raison d’appeler hommes d’un grand cœur ceux que suit une troupe ainsi animée, et de dire que celui-là s’avance avec un grand bras, à qui tant de bras obéissent ; en effet, on est réellement un grand homme quand on fait de grandes choses plutôt par le génie que par la force du corps. Il en est de même dans les œuvres domestiques : quand le contre-maître, le surveillant, le chef des travailleurs, savent rendre les gens ardents au travail, appliqués, assidus, ce sont vraiment eux qui font prospérer la maison et y versent l’abondance. Mais quand un maître, Socrate, se montre aux ouvriers, sans que la présence de celui qui peut fortement punir le paresseux et récompenser largement le travailleur fasse rien produire de remarquable à ces hommes, je ne puis avoir d’admiration pour lui ; mais celui dont la vue met tout en mouvement, et communique aux ouvriers un élan, une émulation générale, une ambition puissante et individuelle, je dirai de lui qu’il a l’âme d’un roi.

« Or c’est là, selon moi, le point capital, dans toute œuvre qui se fait par des hommes, et notamment dans l’agriculture. Seulement, par Jupiter, je ne dis point que ce talent s’acquière à simple vue et dans une simple leçon ; je prétends, au contraire, que, pour y atteindre, il faut l’instruction et un bon naturel, et, ce qui est plus encore, une inspiration d’en haut. En effet je ne puis croire que ce soit une œuvre humaine, mais divine, de régner sur des cœurs qui se donnent ; seulement ce don n’est accordé qu’aux hommes véritablement doués d’une prudence accomplie. Quant à tyranniser des cœurs qui s’y refusent[1], c’est, selon moi, un privilége accordé par les dieux à ceux qui sont dignes de vivre comme Tantale, éternellement tourmenté, dit-on, dans les enfers, par la crainte de mourir deux fois[2]. »

  1. Texte controversé ; je suis la leçon adoptée par Weiske.
  2. Cf. Pindare, Olymp., I, v. 12, et Cicéron, Tuscul., IV, xvi.