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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/289

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vous vous trouverez bien, vous boirez avec plus de plaisir. » Alors Charmide : « Mes amis, dit-il, Nicératus veut retourner chez lui sentant l’oignon, afin que sa femme croie que personne n’a songé à l’embrasser. — Par Jupiter, dit Socrate, j’aurais peur qu’on ne prît de nous une autre idée plaisante. Comme assaisonnement, il paraît que l’oignon ne rend pas moins agréable le manger que le boire. Si donc nous en mangions au dessert, on pourrait dire que nous avons mené joyeuse vie chez Callias. — Pas du tout, Socrate, dit Nicératus ; car quand on marche au combat, c’est une bonne chose de manger un peu d’oignon : c’est ainsi que parfois on fait manger de l’ail aux coqs avant de les faire battre ; mais peut-être ici songeons-nous moins à nous battre qu’à nous embrasser. » Le propos se termina là.

Alors Critobule : « À mon tour, dit-il, je vais vous expliquer pourquoi la beauté me rend fier. — Parle, lui dit-on. — Si je ne suis pas beau, comme je le pense, vous méritez de passer pour des imposteurs : car, sans que personne vous demande de serment, vous jurez toujours que je suis beau ; et moi je vous crois, parce que je vous regarde comme des gens beaux et bons. Si donc je suis réellement beau, et si je produis sur vous la même impression que quelqu’un de beau produit sur moi, je jure par tous les dieux que je ne préférerais pas le pouvoir du grand roi à la beauté. En effet, je contemple Clinias avec plus de plaisir que tout ce qu’il y a de beau parmi les hommes, et je souffrirais volontiers d’être aveugle pour tout autre objet que Clinias ; j’en veux à la nuit et au sommeil, parce que je ne le vois plus, et je sais un gré infini au jour et au soleil, parce qu’ils me font revoir Clinias. Il est juste aussi que, nous qui sommes beaux, nous éprouvions quelque fierté de ce qu’un homme vigoureux ne peut acquérir de biens qu’en travaillant, le brave qu’en affrontant les dangers, le sage qu’en parlant, tandis que le beau, sans rien faire, en vient à bout. Moi donc, qui sais pourtant quelle douce possession est la richesse, je trouverais plus doux de donner mon bien à Clinias que d’en recevoir autant d’un autre ; j’aimerais mieux être esclave que libre, si Clinias voulait être mon maître ; le travail, pour le servir, me serait plus doux que le repos, et j’aurais plus de plaisir à braver le danger pour lui qu’à vivre sans danger. Si donc toi, Callias, tu es fier de pouvoir rendre les autres plus justes, il est bien juste que je croie pouvoir, mieux que toi, conduire les hommes à toute espèce de vertu.