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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/290

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« En effet, la passion, que nous autres beaux nous inspirons aux cœurs aimants, les rend plus affranchis de l’amour des richesses, plus épris du travail et de la gloire acquise par les dangers, plus modestes et plus réservés, puisqu’ils rougissent de demander ce qui leur manque le plus. C’est être fou que ne pas choisir de beaux hommes pour généraux. Pour ma part, avec Clinias je passerais même à travers le feu, et vous tous avec moi, j’en réponds. N’hésite donc plus à dire, Socrate, que ma beauté est utile aux hommes. En outre, il ne faut point la dédaigner, si elle se flétrit promptement, puisque, de même que l’enfant a sa beauté, l’adolescent, l’homme fait et le vieillard ont chacun la leur. Témoin les thallophores[1] de Minerve, qui sont choisis parmi les beaux vieillards, comme pour déclarer que la beauté est de tous les âges. Or, s’il est doux d’obtenir sans peine ce qu’on désire, je suis sûr qu’en ce moment même, sans dire un mot, je persuaderais plus vite à ce garçon et à cette fille de me donner un baiser, que tu ne le ferais, Socrate, avec toutes tes belles paroles. — Eh quoi, dit Socrate, tu te vantes comme si tu étais plus beau que moi. — Oui, par Jupiter, dit Critobule, ou bien alors je serais plus laid que tous les Silènes de nos drames satiriques. » Socrate, en effet, se trouvait ressembler à ces personnages[2]. « Souviens-toi bien, dit Socrate, qu’il faut qu’on prononce sur notre beauté, lorsque

  1. Vieillards qui portaient un rameau d’olivier dans les fêtes de Minerve.
  2. « Alcibiades, on dialoge de Platon, intitulé le Bancquet, louant son précepteur Socrates, sans controuerse prince des philosophes, entre aultres pareilles, le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoyent iadiz petites boytes, telles que voyons de presentes bouticques des apothecaires ; painctes au dessus de figures ioyeuses et friuoles, comme de harpyes, satyres, oysons bridez, Heures coniuz, canes batees, boucqz vollans, cerfs lymonniers, et aultres telles painctures contrefaictes a plaisir, pour exciter le monde a rire : quel feut Silene, maistre du bon Bacchus ; mais, on dedans, Ion reseruoyt les fines drogues, comme banlme, ambre griz, amomon, muscq, ziuette, pierreries, et aultres choses pretieuses. Tel disoyt estre Socrates : par ce que, le voyans au dehors, et lestimant par lexteriore apparence, nen eussiez donné un coupeau doignon, tant taid il estoyt de cors, et ridicule en son maintien ; le nez poinctu, le reguard dung taureau, le visaige dung fol, simple en meurs, rusticq en vestimens, paoure de fortune, infortuné en femmes, inepte a tous offices de la république ; tousiours riant, tousiours beuuant dautant a ung chascun, tousiours se guabelant, tousiours dissimulant son diuin scauoir. Mais ouurans ceste boyte, eussiez, en dedans, trouué une céleste et impreciable drogue ; entendement plus que humain, vertu merueilleuse, couraige inuincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, desprisement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, trauaillent, nauiguent, et battaillent. » RABELAIS, prologue de Gargantua.