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Page:Zevaco - Le boute-charge, 1888.djvu/79

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LE BOUTE-CHARGE

sage un bras ou une jambe, engloutissent parfois leur proie tout entière dans leurs rouages goulus.

Marc se rappelait tout cela… Puis, le soir venu, on regagnait la maison ; avec des lourdeurs appesanties aux jambes, on montait les interminables étages de bois ; on mangeait lentement ; il fallait subir les scènes de famille, la mère se lamentant, le père laissant éclater en menaces contre les enfants ses colères sourdes contre la société. On dormait. Et le sommeil leur paraissait à tous la seule preuve de la prévoyance et de la bonté divines pour les misérables. On dormait ; et on oubliait la fatigue écrasante augmentée encore par cette fatigue attendue pour le lendemain, pour les jours suivants, pour toujours… On dormait ; et on oubliait les âpres fureurs contre les heureux du monde, les colères impuissantes, les tentations mauvaises ; on s’écrasait dans l’oubli absolu ; on mourait pour quelques heures, à moins que le rêve ne vint encore poursuivre la nuit ceux que la réalité persécutait le jour.