Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/119

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décembre, sur lequel je comptais, ce mois de gros travail, les autres années, menace de ruiner les maisons les plus solides… Il faut tout suspendre.

Et comme il voit les ouvriers se regarder entre eux avec la peur du retour au logis, la peur de la faim du lendemain, il ajoute d’un ton plus bas :

— Je ne suis pas égoïste, non, je vous le jure… Ma situation est aussi terrible, plus terrible peut-être que la vôtre. En huit jours, j’ai perdu cinquante mille francs. J’arrête le travail aujourd’hui, pour ne pas creuser le gouffre davantage ; et je n’ai pas le premier sou de mes échéances du 15… Vous voyez, je vous parle en ami, je ne vous cache rien. Demain, peut-être, les huissiers seront ici. Ce n’est pas notre faute, n’est-ce pas ? Nous avons lutté jusqu’au bout. J’aurais voulu vous aider à passer ce mauvais moment ; mais c’est fini, je suis à terre ; je n’ai plus de pain à partager.

Alors, il leur tend la main. Les ouvriers la lui serrent silencieusement. Et, pendant quelques minutes, ils restent là, à regarder leurs outils inutiles, les poings serrés. Les autres matins, dès le jour, les limes chantaient, les marteaux marquaient le rhythme ; et tout cela semble déjà dormir dans la poussière de la faillite. C’est vingt, c’est trente familles qui ne mangeront pas la semaine suivante.