Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/211

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En 1859, le jour où la nouvelle de la bataille de Magenta se répandit, je me souviens qu’au sortir du collège, j’allai sur la place de la Sorbonne, pour voir, pour me promener dans cette fièvre qui courait les rues. Là, il y avait un tas de galopins qui criaient : « Victoire ! victoire ! » Nous flairions un jour de congé. Et, dans ces rires, dans ces cris, j’entendis des sanglots. C’était un vieux savetier qui pleurait au fond de son échoppe. Le pauvre homme avait deux enfants en Italie.

J’ai souvent, depuis cette époque, entendu ces sanglots dans ma mémoire. À chaque bruit de guerre, il me semble que le vieux savetier, le peuple en cheveux blancs, pleure au loin, dans les frissons chauds des places publiques.

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Mais je me souviens mieux encore de l’autre guerre, de la campagne de Crimée. J’avais alors quatorze ans, je vivais au fond de la province, j’étais en pleine insouciance, à ce point que je ne voyais autre chose dans la guerre que le continuel passage des troupes, dont le défilé était devenu une de nos récréations les plus passionnées.