Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/244

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rougissant, me baisait le bout des doigts, tandis que moi, me dressant sur les pieds, tendant les bras, je me penchais comme pour l’embrasser. C’est alors que mon action me parut épouvantable d’audace. Et toute ma timidité revint. Je me demandai comment j’avais pu oser me faire baiser les doigts d’une façon si douce.

Et mon oncle Lazare qui ne disait rien, qui marchait toujours à petits pas devant moi, sans avoir un seul regard pour les vieux arbres qu’il aimait ! Il préparait sûrement un sermon. Il ne m’emmenait dans la grande allée qu’afin de me gronder à l’aise. Nous en aurions au moins pour une heure : le déjeuner serait froid, je ne pourrais revenir au bord de l’eau et rêver aux tièdes brûlures que les lèvres de Babet avaient laissées sur mes mains.

Nous étions dans la grande allée. Cette allée, large et courte, longeait la rivière ; elle était faite de chênes énormes, aux troncs crevassés, qui allongeaient puissamment leurs hautes branches. L’herbe fine tendait un tapis sous les arbres, et le soleil, criblant les feuillages, brodait ce tapis de rosaces d’or. Au loin, tout autour, s’élargissaient des prairies d’un vert cru.

Mon oncle, sans se retourner, sans changer son pas, alla jusqu’au bout de l’allée. Là, il s’arrêta, et