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sur mes joues, lentes et chaudes. Au milieu des cauchemars que me donnait la fièvre, j’entendais un râle pareil à la plainte continue d’un enfant qui souffre. Par instants, je m’éveillais, je regardais le ciel avec étonnement.

Je compris enfin que c’était M. de Montrevert, gisant à quelques pas, qui râlait ainsi. Je l’avais cru mort. Il était couché la face contre terre, les bras écartés. Cet homme avait été bon pour moi ; je me dis que je ne pouvais le laisser mourir ainsi, le visage dans la terre, et je me mis à ramper doucement vers lui.

Deux cadavres nous séparaient. J’eus un instant la pensée de passer sur le ventre de ces morts pour abréger le chemin ; car, à chaque mouvement, mon épaule me faisait horriblement souffrir. Mais je n’osai pas. J’avançai sur les genoux, m’aidant d’une main. Quand je fus arrivé auprès du colonel, je poussai un soupir de soulagement ; il me sembla que j’étais moins seul ; nous allions mourir ensemble, et cette mort partagée ne m’épouvantait plus.

Je voulais qu’il vît le soleil, je le retournai le plus délicatement possible. Quand les rayons tombèrent sur son visage, il souffla fortement ; il ouvrit les yeux. Penché sur lui, j’essayai de lui sou-