Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mon oncle s’arrêtait parfois pour causer avec les plus vieux des travailleurs.

— Hé ! père André, disait-il, le raisin est-il bien mûr, le vin sera-t-il bon, cette année ?

Et les paysans, levant leurs bras nus, montraient au soleil de longues grappes d’un noir d’encre, dont les grains pressés semblaient éclater d’abondance et de force.

— Voyez, monsieur le curé, criaient-ils, ce sont là les petites. Il y en a qui pèsent plusieurs livres. Voici dix ans que nous n’avions eu une pareille besogne.

Puis, ils rentraient dans les feuilles. Leurs vestes brunes faisaient des taches sur la verdure. Et les femmes, nu-tête, ayant au cou un mince fichu bleu, se courbaient en chantant. Il y avait des enfants qui se roulaient au soleil, dans les chaumes, poussant des rires aigus, égayant de leur turbulence l’atelier en plein air. Au bord du champ, de grosses charrettes immobiles attendaient le raisin ; elles se détachaient sur le ciel clair, tandis que des hommes allaient et venaient sans cesse, portant les paniers pleins, rapportant les paniers vides.

Je l’avoue, au milieu de ce champ, il me vint des pensées d’orgueil. J’entendais la terre enfanter sous mes pas ; la vie mûre et toute-puissante cou-