Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

empêcher de regarder le péril en face. L’anxiété nous poussait à nous rendre compte des progrès de l’inondation. Nous avions ouvert la fenêtre toute grande, nous nous penchions au risque de tomber, nous interrogions la nuit. Le brouillard, plus épais, traînait sur l’eau, suant une pluie fine qui nous pénétrait de frissons. De vagues reflets d’acier indiquaient seuls la nappe mouvante, au fond des ténèbres. En bas, dans la cour, le flot clapotait, montant le long des murailles avec des ondulations douces. Et nous n’entendions toujours que la colère de la Durance et que l’épouvante des chevaux et des bestiaux.

Les hennissements, les beuglements de ces pauvres bêtes me fendaient l’âme. Jacques m’interrogeait du regard ; il aurait voulu tenter de les délivrer. Bientôt leurs plaintes d’agonie devinrent lamentables, et un grand craquement se fit entendre. Les bœufs venaient de briser les portes de l’étable. Nous les vîmes passer devant nous, emportés par les eaux, roulés dans le courant. Et ils disparurent dans la clameur de la rivière.

Alors la colère me prit à la gorge, je devins comme fou, je montrai le poing à la Durance. Debout devant la fenêtre, je l’insultais.

— Mauvaise ! criai-je au milieu du vacarme des