Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/309

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venue fleuve. D’un coteau à l’autre, entre les masses sombres des cultures, la Durance passait énorme, seule vivante dans l’horizon mort, grondant d’une voix souveraine, gardant dans sa colère la majesté de son jet colossal. Par endroits, des bouquets d’arbres émergeaient, tachant la nappe pâle de marbrures noires. Je reconnus, devant nous, les cimes des chênes de l’allée ; le courant nous poussait vers ces branches qui étaient pour nous autant de récifs. Autour du radeau flottaient des débris, des pièces de bois, des tonneaux vides, des paquets d’herbes ; la rivière charriait les ruines que sa colère avait faites.

À gauche, nous apercevions les lumières de Dourgues. Des lueurs de lanternes couraient dans la nuit. L’eau n’avait pas dû monter jusqu’au village ; les terres basses seules étaient envahies. Des secours allaient arriver sans doute. Nous interrogions les clartés qui traînaient sur l’eau ; il nous semblait, à chaque instant, entendre des bruits de rames.

Nous étions partis à l’aventure. Dès que le radeau fut au milieu du courant, perdu dans les tourbillons de la rivière, l’angoisse nous reprit, nous regrettâmes presque d’avoir quitté la ferme. Je me tournai parfois, je regardai la maison qui